Accéder au contenu principal

Deux mille vingt et unes ruptures

Collage du dimanche soir

C’est étonnant comme ces derrières années le mot rupture (et surtout son adjectif disruptif) est devenu à la mode, en particulier dans nos environnements professionnels. A la mode, et porteur de positif, d’un imaginaire et d’implicite de l’ordre du magique qui résoudrait (presque) tout.

C’est extrêmement étonnant à plusieurs titres.

D’abord, quand on y pense, dans la vie tout ce qui se rapporte à la rupture véhicule une sémantique et un univers qui n’est pas ce qui est prévu, qui apporte des chamboulements, du désordre, des difficultés, voire du malheur. Que ce soit la rupture amoureuse, (et son corolaire le divorce), la rupture d’anévrisme, la rupture conventionnelle, la rupture de la branche (sur laquelle on est assis…), le point de rupture en étant l’extrême limite.

Dernièrement la rupture de mon équilibre au ski de fond (puis-je dire un équilibre disruptif ?) a entrainé de façon quasi systématique ma chute. Rien de positif dans cette expérience. A tout point de vue, j’aurai préféré ne pas tomber. Même si j’ai appris à me relever – j’en suis fière – je maintiens que j’aurai préféré ne pas tomber, quitte ça ne jamais savoir me relever.


Une rupture est avant toute une fin - même quand on l’a voulu - suivie d’une période d’incertitude (avant qu’il ne se passe autre chose). La rupture de la branche nous fait tomber, les conséquences peuvent être graves, tout comme l’anévrisme. Quand on parle de rupture amoureuse, ce n’est jamais simple (sinon on dit juste : on s’est séparé), il y a sous-entendu quelque chose de cassé, d’irrémédiablement détruit, comme la branche. Il n’y a rien de magique dans les ruptures qui surviennent dans nos vies, il y a surtout un choc, à encaisser, à surmonter qui demande de l’énergie (comme de se relever chaussée de skis de fond). 

On ne cherche pas la rupture en se disant que c’est une solution qui nous permet d’avancer, ni parce qu’on va en sortir plus fort (tout ce qui ne tue pas renforce !), ni parce qu’on y cherche un sens. Si sens il doit y avoir, c’est après, parfois bien longtemps après, pas au moment où la branche se casse.


Rompre sa routine, c’est la forme la plus proche d’une expression positive du champ lexical de la rupture. Personne n’aime rompre sa routine – ou quand on rompt souvent avec sa routine, c’est que ce n’en est pas une – et ça a un coût, ça demande un effort. 

Faites juste un test. Vous avez l’habitude d’aller acheter votre pain à la boulangerie au coin de la rue. Changez de boulangerie la prochaine fois. Soyez honnête avec vous, quelles sont toutes les pensées qui vous viennent pour ne pasle faire : je n’ai pas le temps, il pleut l’autre est plus loin ; à cette heure elle n’a plus la baguette ; je n’aime pas la vendeuse ; son pain est moins bon ; je risque de croiser un tel… 

Une fin d’abord. Puis de l’incertitude. Ce qu’on ne sait pas. 


Vais-je arriver à me relever avec ces fichus skis aux pieds ? Pendant un moment, je ne sais pas. Pendant un moment, je crois que je ne vais pas y arriver, du moins sans aide. Or je veux me relever seule. C’est important pour mon autonomie : tomber seule, me relever seule. C’est un effort, physique et psychique, ça me demande de tester, d’essayer, de recommencer, ça me demande d’innover, ça ne se fait pas tout seul. Je dois arrêter de ricaner bêtement sur mon sort pour m’en sortir justement.

Alors pourquoi tant d’engouement pour ce qui est disruptif ?

Et pourtant, je vais nous souhaiter une année disruptive.


Que 2021 soit en rupture avec la précédente.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Je te souhaite

Borne, une lumière pour nous guider Je te souhaite un ciel étoilé à contempler, une remise en ordre dans les constellations,     -  Aldeberan, Betelgeuse et Antarès sont mieux rangées      que dans ta bibliothèque, des contes qui organisent le bordel laissé  par des héros destructeurs qui se prennent pour des mythes. Je te souhaite  des promenades dans les pas d'autres que toi  de croiser les trajectoires de ceux qui habitent là,  de les deviner sans les voir -  eux ne te louperont pas -  apercevoir leurs empreintes, imaginer leurs chemins sont déjà un luxe Je te souhaite  d'entendre  la couche craquelée qui scintille de t'enfoncer dans le velours de la neige tout juste tombée de te couler dans le crissement de sa rondeur  quand tu avances. Je te souhaite une montée entre chien et loup une arrivée à la nuit un dernier regard aux couleurs qui se couchent la chaleur du refuge après l'effort. Je te souhaite  de...

Désintoxication

Ce qui déborde Plus d'un mois. presque deux. Un mois et vingt jours exactement. Pour l'instant, je tiens.  Un jour après l'autre. Je ne crois pas avoir passé aussi longtemps sans. Cinquante et un jours que je n'ai pas mis les pieds dans une librairie. Je me rappelle bien la date, parce que j'ai un mail de la libraire, ils se sont trompés dans le décompte, j'ai payé un livre en double et ils me font un avoir.  C'était des cadeaux. Il y a fait juste un seul livre pour moi, deux tout au plus.  Je suis presque tentée d'essayer un an sans librairie. Un an sans acheter de livre. Je lirais tous ceux que j'ai en stock. Je relirais tous ceux que j'ai aimés de mes étagères. J'ouvrirai enfin tous ceux qu'on m'a offert et que je n'ai pas touchés.  Et s'il le faut, je reprendrai un abonnement à la bibliothèque. Ou alors j'y retourne après épuisement des stocks. J'hésite encore. Je ne sais pas bien à quoi rime cette nouvelle idée. O...

Petites aberrations et grands agacements

C'est l'automne à Cachan  Il y en a en ce moment une conférence à Pusan en Corée, celle du comité intergouvernemental de négociation sur le traité plastique. Intergouvernemental. C'est bien nommé comme ça. Ce qui signfiie que la négociation concerne les gouvernements.  Ils négocient entre eux tout ce qui concerne le plastique (de sa fabrication à son recyclage), cette année on y parle de sa production notamment pour la réduire. En tout cas c'était le but de la négociation : réduire la production plastique. L'Europe a envoyé 191 personnes par la représenter ainsi que ses pays membres.  Les chercheurs et scientifiques sont environ 70, donc des ecotoxicologistes qui démontrent tous les jours les dangers du plastique sur la santé. Les lobbyistes de l'industrie pétrochimique sont eux 220, de toutes les entreprises concernées : du pétrolier TotalEnergies, au chimiste Arkema pour ceux qu'on connait bien en France. Ils représentent sans nul doute le septième contine...